2010/11/05

Le lit de Procuste

Thésée et Procuste
(kylix attique à figures rouges, 440-430 av. J.-C., British Museum, (vase E84))


            La mythologie grecque est le témoin de la représentation du monde antique à travers un vaste legs de textes ainsi que de reproductions pictoriques.
Au cours des innombrables récits, dont l’encadrement dépasse la sacralité qu’on lui confère habituellement, les personnages e t les évènements évoqués s’octroient une dimension historique qui sert de base aux historiens de l’Antiquité. Ainsi, les mythes deviennent le reflet, il est vrai fantastique, d’une société bien réelle. Cependant, il serait très peu judicieux de considérer anachronique la possibilité d’établir un parallèle entre la mythologie grecque et l’actualité. C’est l’apanage de l’Histoire, com l’illustrait le philosophe napolitain Giambattista Vico dans ses travaux sur la théorie cyclique du «corsi et ricordi», d’utiliser le passé pour faire la lumière sur le présent et même anticiper les temps prochains. Le mythe de Procuste est un des nombreux exemples de ce paradigme.
            Procuste (connu également sous les noms de Procruste, Polypémon ou encore Damastès) vivait, selon l’historien Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.), sur la route d’Athènes à Éleusis. Procuste offrait son hospitalité aux voyageurs qui croisaient son chemin cependant avec une intention plutôt macabre. Il attachait ces itinérants sur un lit où ils devaient tenir exactement. Trop grands, ils étaient amputés des membres qui dépassaient; trop petits, Procuste les écartelaient jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille requise. C’est la torture de l’uniformisation! Thésée, l’un des plus fameux héros de la mythologie grecque, vaincra le sinistre bourreau en lui infligeant le même sort. Même Procuste n’avait pas les dimensions de sa propre couche!
            Le parallèle avec d’autres moments de l’histoire est aisé. Il suffirait d’évoquer les lois raciales imposées au peuple allemand par l’idéologie nazie, qui se voulaient dans la continuité du darwinisme social en vogue dans l’Europe du XIXème siècle, et qui plaidaient la supériorité et la pureté de la race aryenne. La caricature de l’aryen de grande taille, blond et aux yeux bleus, produit d’une race immaculée par les déboires de l’histoire humaine, sied, en vérité, très peu aux responsables politiques du IIIème Reich. Adolf Hitler, führer d’un empire voué à être millénaire, Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie, Heinrich Himmler, chef incontesté des SS et de la Gestapo, ou encore Rudolph Hess, sont l’exemple de l’incohérence de certains dogmes. Mais tournons-nous vers le présent…
            Selon les chiffres officiels[1], le Portugal comptait, en 2004, près de 450 mil immigrés que l’on peut regrouper en deux catégories : ceux qui détiennent un visa permanent de résidence et ceux qui possède une autorisation de séjour. Parmis ces concitoyens, les brésiliens, les ukrainiens et les capverdiens sont les plus représentés; Amérique du Sud, Afrique et Europe de l’Est; trois continents, trois cultures, trois façons de vivre sur le même sol, dans les mêmes frontières, dans la même alcôve nationale. Dans toute l’Europe, pour ne pas aller plus loin, les questions migratoires et identitaires revêtent un rôle de plus en plus important et, il vrai, inquiétant. Il suffirait de rappeler le modus operandi de l’idéologie fasciste durant le XXème siècle et la portée des axiomes identitaires et nationalistes qui concoururent à son affirmation politique. La France et l’Allemagne, les deux pays européens accueillant le plus d’immigrés, font de leurs systèmes d’intégration, et de la nécéssité de les réformer, le centre de débats récurrents. Cependant, la réalité de ces deux nations, beaucoup plus complexe, avec notamment des questions culturelles et religieuses bien plus soutenues, n’est pas comparable avec le phénomène migratoire vers le Portugal.
            Les immigrés résidant au Portugal constituent, sans aucun doute, un apport très positif pour le pays par la dynamisation de sa fragile économie, contribuant à la stabilisation d’un taux de natalité en chute libre depuis les années 70, fournissant une main d’œuvre entreprenante dans de nombreux secteurs d’activité, finançant, comme n’importe quel contribuable, les retraites, le chômage, la santé, l’éducation, etc. De plus, l’immigration représente une précieuse source d’enrichissement culturel, un croisement fécond de savoir, un inestimable trésor.
            Procuste désirait éliminer les diversités, les fondre dans une norme pré-établie. Cependant, le Portugal, ce pays forgé par une rencontre multiséculaire de cultures, depuis les Phéniciens, en passant par Rome, les Barbares du nord de l’Europe, l’Islam, les échanges avec l’Afrique, l’Asie, jusqu’à la récente entrée dans l’espace communautaire européen, ne peut se laisser tenter par la dérive de l’uniformisation. Jean Bodin affirmait au XVIème siècle qu’ «il n’y a de richesses que d’hommes»; nous y ajouterons que des hommes différents décuplent cette richesse.

[1] Voir le rapport Estatísticas da Imigração du Haut Commisiariat pour l’Immigration et les Minorités Ethniques publié en 2005. http://www.oi.acidi.gov.pt/modules.php?name=News&file=article&sid=879

3 comentários:

  1. Mon Lolo, je réponds donc au mail que tu m’as envoyé…
    Bon, le mythe de Procuste sert ici d’allégorie à la pratique d’uniformisation des États. Uniformisation à divers niveaux,, notamment les populations. J’ai tout d’abord présenté le mythe en le résumant; Thésée tue Procuste en lui appliquant le même supplice. C’est juste une présentation, donc je ne pouvais pas trop m’étendre là-dessus. C’est un petit article et pas une dissertation ou une thèse.
    Ensuite, en ce qui concerne la question raciale dans l’Allemagne nazie, tu n’as pas bien compris ce que je voulais dire. C’est certainement mon français qui est un peu maladroit; c’est pas tous les jours que j’écris en français. Et puis c’est la traduction du texte que j’avais, au départ, écrit en portugais, donc il peut y avoir quelques maladresses dans la syntaxe. Donc, je disais que tu n’as pas bien compris ce que je voulais dire.
    Premièrement, des lois raciales ont bien été imposé au peuple allemand; en 1935, promulguées à Nuremberg. Dès 1933, est promulguée une législation qui évince la population juive de la fonction publique, la «Loi pour la restauration du fonctionnariat ». Ça parait spécifique à la bureaucratie de l’État, mais non, étant donné que ce document décrit très bien qui est considéré allemand ou pas. Est considéré non-aryen toutes personnes ayant un parent ou grand-parent juif (demi-juif et quart de juif ne sont pas aryens). En 1935 donc, la «loi de protection du sang allemand et de l'honneur allemand» et la «loi de citoyenneté du Reich». Interdiction des mariages entre aryens et juifs (avec rétroactivité, de nombreux mariages célébrés avant la loi sont anulés), ainsi que les relations extra-conjugales, interdiction pour les Juifs d’employer des Allemands, etc.
    Deuxièmement, je ne parle pas de darwinisme dans le texte, mais de darwinisme social. C’est différent. Ce que j’explique, rapidement c’est vrai, c’est que l’idéologie nazie est profondément influencé par le darwinisme social qui était très en vogue durant le 19e siècle et au début du 20e. Je te conseille un bouquin excellent qui relate bien le contexte antisémite de l’Europe à cette époque, Stefan Sweig, «Le monde d’hier : souvenirs d’un Européen». Un roman à la fois autobiographique et historique de très grande qualité et qui fait la lumière sur beaucoup d’idées fausses.

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  2. Mais bon, le darwinisme social… Ce mouvement récupère certaines idées de l’œuvre de Darwin en les appliquant aux sociétés humaines.. D’ailleurs, Darwin s’est opposé de son vivant à cette utilisation erronée de ses idées. Cette mouvance suggère que l’hérédité est plus décisive que l’éducation dans la définition d’une race, d’un peuple, d’une société humaine. Le darwinisme social a été très critiqué à l’époque pour avoir récupéré de façon incorrecte les propos de Darwin. Cependant, il y a eu beaucoup d’adeptes et même de continuateurs. Le français Gobineau, et son «Essai sur l’inégalité des races humaines» (même époque), lui aussi a été mal utilisé. Au tournant du 20e siècle, et sous l’impulsion de l’anglais Galton, se définit l’idéologie eugéniste qui, dans la pratique, milite en faveur de politiques volontaristes d’éradication des caractères jugés handicapant ou de favoriser des caractères jugés bénéfiques (programmes de stérilisations contraintes, durcissement de l’encadrement juridique du mariage, restriction de l’immigration par exemple).

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  3. C’est précisément dans ces cercles menés par des scientifiques et des médecins que l’on retrouve un certain Houston Stewart Chamberlain. Cet anglais naturalisé allemand, un des principaux représentants du pangermanisme, servira d’inspiration à Alfred Rosenberg et Adolf Hitler (1.) pour l’élaboration des lois raciales mises en place en Allemagne. Le darwinisme et le darwinisme social sont des choses différentes. Le second s’inspire du premier en faussant ses propositions.

    (1.) «Si, pendant six cents ans, les individus dégénérés physiquement ou souffrant de maladies mentales étaient mis hors d'état d'engendrer, l'humanité serait délivrée de maux d'une gravité incommensurable ; elle jouirait d'une santé dont on peut aujourd'hui se faire difficilement une idée. En favorisant consciemment et systématiquement la fécondité des éléments les plus robustes de notre peuple. On obtiendra une race dont le rôle sera, du moins tout d'abord, d'éliminer les germes de la décadence physique et, par suite, morale, dont nous souffrons aujourd'hui. Car, lorsqu'un peuple et un Etat se seront engagés dans cette voie, on se préoccupera tout naturellement de développer la valeur de ce qui constitue la moelle la plus précieuse de la race et d'augmenter sa fécondité pour qu'enfin toute la nation participe à ce bien suprême : une race obtenue selon les règles de l'eugénisme.», in Hitler, Adolf, Mon Combat, p.212(http://www.abbc3.com/historia/hitler/mkampf/fra>).

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