La construction européenne a subi de nombreuses fluctuations durant son histoire. La volonté de ses pères fondateurs reposait sur l’idée d’une construction pas à pas. Robert Schuman, l’un des principaux instigateurs de l’Europe communautaire avec Jean Monnet, affirmait dans les années 50: «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes.» Depuis 1957 et la création par le Traité de Rome de la CEE, les divergences entre les partisans d’une Europe des Nations, où les souverainetés nationales dominent le pouvoir de décision européen, et ceux d’une vision fédéraliste furent fréquentes. À l’Europe des Patries, chère au Général De Gaulle, s’oppose le modèle fédéraliste allemand. Cependant, cette dichotomie semble vaciller ces derniers temps en faveur des intérêts économiques et au détriment de l’idée d’une Europe fédérale et donc nécéssairement solidaire. La propre Allemagne, héraut du fédéralisme, semble, au vu des dernières déclarations de sa chancelière, obéir exclusivement aux exigences de la crise économique, laissant de côté certains principes fondateurs du projet européen. Afin d’illustrer cette tendance, j’ai transcris ici le bref mais non moins elucidateur article du quotidien Público de vendredi dernier (hier), de la main de Manuel Carvalho.
«Angela Merkel a transformé l’Union Européenne en une veste que l’on pourrait porter des deux côtés en fonction des convenances..
Avant de partir pour la réunion du G20 à Séoul, Merkel a exigé que l’EU soit perçue comme un ensemble, afin de pouvoir récuser les critiques faites par les États-Unis aux énormes éxcédents du commerce allemand. Mais en ce qui concerne les dettes et le déficit budgétaire qui sont en train pousser l’Irlande et le Portugal vers le chaos, il n’y a apparemment plus de raisons pour considérer l’Europe collectivement. L’opinion allemande qui a prévalue depuis la crise grecque est même plutôt le contraire: que chacun s’occupe de soi. La “subtilité” de Merkel s’occupera d’en aggraver les problèmes.
S’il n’est évidemment pas juste d’exiger aux allemands de payer les delires des ministres portugais ou l’irresponsabilité des banques irlandaises, il ne l’est pas non plus de demander à tous les européens de justifier l’excédent commercial allemand. De plus, les Européens sont les principales victimes de cet excédent, plus que n’importe quel autre peuple dans le monde. La stabilité de l’euro ou l’impossibilité pour les plus faibles de recourir à la dévaluation compétitive de la monnaie justifient autant le déficit commercial portugais comme le solde positif allemand de 15,6 milliards d’euros de septembre dernier.
Ce qui est difficile à supporter, c’est ce discours hypocrite de Merkel qui affirme aux journalistes du Financial Times que «l’on ne peut appréhender l’UE, avec son marché commun et sa monnaie unique, pays à pays» et en même temps suggère aux créanciers d’être prudent car ils seront obligés d’assumer les coûts d’éventuelles banqueroutes.
Si l’EU est considéré “comme un tout” pour justifier les déséquilibres provoqués sur le marche mondial par l’Allemagne, il doit l’être aussi dans les moments ou la solidarité des pays européens est requise. Il ne s’agit pas de payer les frais, mais simplement de suspendre le discours punitif que les autorités allemandes ont proféré dernièrement, soutenir avec conviction les programmes d’austérité mis en place, ou, comme elles l’ont fait aujourd’hui, réclamer l’accalmie des marchés. On ne demande pas la charité ni la complaisance, seulement la cohérence lorsqu’on invoque l’EU “comme un tout”.» [Público, 12/11/2010, p.3]
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